Les grands faussaires, une histoire étonnante

Rassurons nous de prime abord : les faux autographes  constituent une exception et heureusement ! Pour une raison assez simple : faire de faux autographes rapporterait beaucoup moins que de créer de faux tableaux ou de faux meubles. Le prix des lettres fluctue certes avec les mouvements du marché mais même dans les plus belles heures des manuscrits, il ne pourrait raisonnablement cotoyer les cimes d’un Van Gogh. Ainsi, de façon assez logique, les faussaires se sont-ils tournés bien davantage vers la peinture. Toutefois, le phénomène n’est pas à négliger : on voit de temps en temps resurgir sur le marché des faux, en grande partie hérités du XIXe siècle.

Et si l’on croit que faire une fausse signature est un jeu d’enfant, on se trompe : pour imiter au plus près les écritures, le style plus ou moins littéraire et même pousser le vice jusqu’à reproduire les fautes d’orthographe, le faussaire doit se mettre dans la peau du personnage, connaître ses habitudes et sa façon de penser. Il ne s’agit pas seulement de la forme des lettres, mais de tout un travail psychologique. Cela suppose d’avoir lu et étudié. On comprend mieux le parcours du premier faussaire que nous nous proposons d’évoquer.

Felix Sébastien Feuillet de Conches (1798-1887) est, excusez du peu, diplomate, historien de l’art et journaliste. Amené, par sa profession, à constamment voyager, il ramène des œuvres d’art de nombreux pays et constitue alors une immense collection de tableaux, d’art sous toutes ses formes mais aussi et surtout de lettres autographes qu’il considère comme une source primordiale de connaissance.  Son imposante collection attire évidemment les collectionneurs et la presse mais étonne les institutions gardiennes du temple, dont l’école des Chartes, destinée, faut-il le rappeler, à former les conservateurs et les bibliothécaires de haut vol. C’est ainsi que la célèbre institution émet, dans une tribune de 1846, de sérieux doutes envers un document supposément rédigé par Rabelais : « Nous avons refusé de croire qu’une lettre appartenant aujourd’hui à M. Feuillet de Conches et dont la presse quotidienne avait paru s’occuper plus que de raison fût, comme on le prétend, un autographe de Rabelais. Nous déclarons , — après examen de l’ex-libris inscrit par Rabelais en tête du traité imprimé de Théophraste De suffructibus herbisque, et des fac-simile des formules de réception, consignées par le même Rabelais sur le registre de la Faculté de médecine de Montpellier , — que l’écriture de Rabelais constatée par ces documents, les seuls certains que l’on ait jusqu’à présent , est […] tracée par une main inaccoutumée à la régularité et à la rapidité des expéditions; tandis que le prétendu autographe appartenant à M. Feuillet de Conches est en cursive gothique , d’une écriture d’expédition la plus facile et la plus rapide. Nous déclarons que non-seulement les écritures de ce dernier document ne ressemblent pas à l’écriture de Rabelais , mais qu’elle en diffère de la manière la plus radicale. » (in « Bibliothèque de l’Ecole des Chartes », Tome troisième, 1846)

Un siècle plus tard, Stefan Zweig dans son livre « Marie-Antoinette » insiste sur le peu de foi à accorder aux nombreuses lettres de Marie-Antoinette répertoriées dans la collection Feuillet de Conches : presque toutes sont signées par la souveraine, ce qui était en réalité très peu fréquent (au XVIIIè siècle, il était courant de ne pas signer ses missives, le correspondant reconnaissant à la fois l’écriture et le sceau de l’expéditeur). Probablement un moyen pour le faussaire de rendre ces lettres artificiellement plus désirables aux yeux des admirateurs et acheteurs potentiels – car Feuillet de Conches se départira de sa collection qu’il vendra aux enchères en 1875.  

S’il condamne le faussaire, Zweig s’émerveille nénamoins de la perfection avec lesquels ces « chefs-d’oeuvre » d’imitation ont été réalisés : « Là, comme nul autre vivant, il connaissait la matière, l’écriture et les circonstances [ …] il en arriva à fabriquer une foule de faux dont la perfection es effectivement troublante tant le style est imité avec tact et les détails imaginés avec le sens de l’Histoire » (in « Marie-Antoinette », note de l’auteur, 1932).

Toutefois, Feuillet de Conches n’a jamais été reconnu coupable, non seulement parce que ses faux étaient de très bonne facture, mais aussi parce qu’ils étaient noyés dans une foule de documents authentiques ! Il a su garder le mystère autour de ses créations…ce qui n’est pas le cas de notre second faussaire, dont l’histoire est encore plus rocambolesque.

Denis Vrain-Lucas, né en 1816 n’est pas issu d’un milieu très bourgeois et ses études ne sont pas brillantes. Sans le baccalauréat, il tente de trouver du travail dans le milieu des bibliothèques et des librairies, qui ne l’acceptent pas. Il doit alors se contenter d’un petit poste dans un cabinet de généalogie, reconnu…pour la fabrication de faux, à une époque où il est toujours bon de pouvoir prouver une ascendance noble et ancienne.

Maintenant qu’il connaît les techniques de vieillissement artificiel, il n’y a plus qu’à trouver le bon « pigeon ». C’est à ce moment, au début des années 1860, que Vrain-Lucas entend parler de Michel Chasles, célèbre mathématicien, passionné de manuscrits anciens, en particulier scientifiques, et qui souhaite même écrire un livre à ce sujet. Vrain-Lucas se présente chez lui en évoquant une mystérieuse collection qui lui aurait été confiée et qui comporterait des trésors de raretés.

Chasles, séduit par le marchand, achète une puis deux puis dix lettres, toutes plus extraordinaires les unes que les autres : Molière, Rabelais, Pascal…

Fasciné par la qualité des lettres, il demande à Vrain-Lucas s’il peut lui obtenir d’autres manuscrits du même acabit. Mais bien sûr ! Ce sont à présent des centaines de lettres qui sortent comme par magie de la manche du faussaire. La liste des auteurs serait fastidieuse : on en compte 660, pour une quantité astronomique de 27 000 lettres ! Des noms aussi farfelus que Cleopâtre, Vercingetorix, Lazare le ressuscité, Charlemagne. Le tout en général dans un français compréhensible et sur du papier relativement récent. De quoi avoir de sérieux doutes et quelques sourires en coin… Sauf pour M. Chasles, qui continue de faire aveuglément confiance à son nouvel ami. On l’aura compris, ce n’est pas tant l’exactitude du faussaire qui fascine dans cette histoire, car elle est très discutable, que l’ampleur de l’arnaque liée à la grande crédulité d’un scientifique pourtant reconnu. 

Dans l’immensité de la collection, Vrain-Lucas propose à Chasles, un beau jour de 1867,  une lettre de Pascal à Newton, prouvant que la théorie de la gravitation est en fait une découverte pascalienne, et donc française. Cocorico ! Chasles présente cette découverte, lettre à l’appui, à l’Académie des Sciences dont il est membre. Les confrères sont sceptiques et pointent du doigt certaines contradictions. Qu’à cela ne tienne ! Quelques jours plus tard, de nouvelles lettres apparaissent comme par miracle pour répondre aux incohérences. Et ainsi de suite. Vrain-Lucas fabrique en fonction des circonstances, tout en leurrant le pauvre Chasles, qui s’enfonce dans son erreur sans s’en rendre compte.

Le premier à contester formellement l’authenticité de la collection est un certain Prosper Faugère, archiviste au Ministère des Affaires Étrangères. Puis rapidement, les preuves s’accumulent et un procès est mis sur pied en 1869. Au Tribunal, on lit les lettres de Cleopâtre et de Lazare. Tout le monde s’esclaffe et le mathématicien comprend l’étendue de son erreur. Vrain-Lucas sera condamné à 2 ans de prison et 500 francs d’amende. Une bagatelle par rapport aux centaines milliers de francs gagnés. Il ne dira d’ailleurs jamais ce qu’il a fait de l’argent gagné sur le dos de Chasles. 

De cette immense escroquerie, presque tout a été détruit à l’issue du procès…sauf quelques centaines de lettres pieusement conservées à la Bibliothèque Nationale de France sous la cote NAF709 (voir https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b525049362/f9.image). Ces reliques nous permettent d’affirmer que malgré les invraisemblances, l’art de Vrain-Lucas n’était finalement pas si risible que cela, les écritures et les signatures sont souvent ressemblantes ou tout du moins crédibles, ce qui représente un travail acharné à une époque où internet n’existait évidemment pas.

Aujourd’hui, avec les bases de données et les références que nous possédons, il existe moins de risques de telles escroqueries, en tout cas sur les documents anciens : l’essentiel des faux que nous retrouvons sont ceux hérités du XIXè siècle et ils commencent à être connus. Le danger réside davantage dans les fac simile, et autres « pre-print » qui pullulent sur ebay. Sans compter les autographes « modernes » des stars de la chanson, du cinéma, du sport qui sont souvent imités. Combien de faux Beatles ? Probablement des milliers : quand on sait que la signature du groupe peut atteindre près de 10 000 euros, on comprend l’engouement des faussaires. On ne saurait trop vous conseiller de vous adresser aux experts compétents, en privilégiant l’expérience et le sérieux des professionnels.

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