Horace Vernet (1789-1863), peintre
Lettre autographe signée, Rome, le 1er mars 1831, adressée au Général Baron Rabusson
3 pages in-8, adresse autographe, cachet de cire, petite déchirure à l’ouverture
Horace Vernet, Directeur de la Villa Medicis, cherche à protéger ses étudiants au milieu de l’agitation révolutionnaire en ce début d’année 1831 : les carbonari veulent renverser le pouvoir du Pape et se heurtent aux intérêts autrichiens. La France est opposée aux révolutionnaires – malgré les idéaux portés par la Monarchie de Juillet – et la Villa Medicis n’est pas épargnée. C’est le récit de cette prise au piège que livre ici Vernet à son grand ami le général et Baron d’Empire Jean Rabusson, dont il a d’ailleurs laissé un vivant portrait.
« Mon cher Rabusson, c’est à notre tour, nous sommes ici sur le qui vive, nous ne savons trop ce que nous deviendrons, les insurgés sont à quelques lieues d’ici. S’ils entrent, le pape partira, nous serons donc livrés à nous-mêmes sans ambassadeur et en but à la populace de Rome que les Russes et les Autrichiens montent contre les Français avec une perfidie que je ne saurais concevoir. En 93, notre établissement a été pillé mais le gouvernement avait pris soin d’en éloigner les pensionnaires. Cette fois, nous sommes sans ordres et dans l’alternative d’avoir à nous défendre si nous ne voulons pas être perdus. Au premier danger, ma femme et ma fille se retireront au couvent, et nous brûlerons des cartouches. […] Je me recommande pour mon compte à vos prières. Vingt braves jeunes qui pleins d’honneur sont aussi déterminés que moi à soutenir le combat, ils y sont déjà portés par l’assurance qu’ils ont qu’on est en état d’hostilité contre eux. Un de leurs camarades, M. de Boy, a été pris en pleine rue par une bande de canailles qui lui ont mis le pistolet sur la gorge pour lui faire crier « vive le pape ». Il n’a dû son salut qu’à une brave Française qui l’a reçu dans sa boutique. Moi-même dans notre jardin, j’ai été menacé par un Romain armé d’un long couteau. Enfin, la vérité est que notre position devient de jour en jour de plus en plus grave. Si j’y étais seul, j’en rirais, mais la responsabilité qui pèse sur un Directeur n’est pas peu de chose, les papas et les mamans viendront demander compte des os cassés de leurs enfants, et le gouvernement, de son côté, pourrait bien me réprimander si j’abandonnais le poste. Ma foi, vogue la galère. Je ferai de mon mieux.
Nous n’avons pas d’Ambassadeur, notre brave chargé d’affaire n’a pas assez de moyens entre les mains pour arrêter la marche des événements s’ils tournaient contre nous.
[…] Joignez à tout ceci que Rome est le rendez-vous de tous les mécontents français qui ont quitté le pays, et vous verrez que nous ne sommes pas blancs.
De minute en minute, on attend la nouvelle d’une bataille entre les troupes du pape et celles des insurgés. Les premiers se composent de quelques bataillons restés fidèles, trois ou quatre escadrons et quatre à cinq mille brigands qu’on a recrutés dans les montagnes. Les seconds comptent quatre mille hommes d’infanterie, mille chevaux, quatre batteries, le tout ayant passé aux insurgés qui se composent de beaucoup d’officiers ayant fait les campagnes d’Allemagne, d’Espagne etc…avec nous. Vous voyez que la lutte ne sera pas douteuse. Le combat d’Italie se donnera entre Civita Castellana et Otricoli où sont en présence les avants-postes depuis plusieurs jours. On se fusille sans se faire grand mal mais lorsque les forces de Bologne et celles d’Ancone seront réunies il y aura sans doute un coup de torchon.
[…]
Je vous avoue que je ne désire pas voir revenir en désordre les volontaires qui servent la cause de la légitimité, ils feraient bien le Diable dans Rome, je fais donc des vœux pour que le bon droit l’emporte.
Adieu mon cher ami, si ne nous sommes point mangés otut vifs, je vous tiendrai au courant. Je ferme cette lettre car elle doit partir dans un instant par un courrier extraordinaire qui porte sans doute à Paris les mêmes nouvelles que je vous donne.
Tout à vous.
H. VERNET.
Rome, ce 1er mars 1831 »
Beau témoignage. Au même moment, le jeune Berlioz, qui vient de remporter le Prix de Rome, est en route vers la Villa, dont il laissera ses impressions dans ses Memoires.
1000 EUR