Germaine de Staël (1766-1817), écrivaine
Lettre autographe, sans lieu, « Lundy 2 mai » [1796, selon une note au crayon], adressée au Comte Adrien de Mun à Greng [Suisse]
3 pages in-8, adresse autographe, cachet de cire
Charmante lettre malicieuse à un jeune amant jaloux, faisant également allusion aux victoires militaires de Bonaparte : [la ponctuation, quasi absente, a été restituée selon le contexte]
« Vos lettres sont charmantes, mon cher Adrien, et j’y retrouve cette grâce que les châteaux en Espagne ont développée à mes yeux, la finesse de l’esprit et la simplicité du caractère, j’écrirai de bien bon cœur à Mad. De Tessé (1) que je vous ai dû des moments bien agréables et que si vous rentrez en France, si vous ne me donnez pas l’inquiétude d’avoir mal servi votre existence leur souvenir sera à jamais doux. Je vous annonce la visite de Mr Terray (2). Soyez aimable pour lui. En mon absence, ne vous sentez vous pas de l’attrait pour lui ? Il me semble que loin de moi vous devez aimer ce qui me plaît. Mais en [ma] présence, je vous permets de le détester. J’ai ri de votre phrase sur lui et vous comparant à mes deux enfants (3). Je me suis sentie pour tous les deux une affection maternelle. Vous auriez bien dû parler d’un avantage réel que vous avez sur lui, c’est que je vous ai perverti davantage, et vos juifs et votre sourire républicain m’ont gagné le cœur. Pendant ce temps, les Français vont à Turin (4), mais vous avez devancé leur prospérité. Je vous dirai à Lausanne ce qu’il arrive de moi, je n’en sais rien encore et je m’ennuie de mon importance, une existence à mener est ce que je connais de plus frivolement difficile.
Je ne peux rien et j’épouvante l’univers. J’ai bien envie d’aller me reposer dans le sein de Mr de Garville (5), n’est-ce pas là que l’adversité doit se retirer. J’aime votre portrait de lui, enfin j’aime tellement vos lettres que bientôt je jugerai qu’il en faut deux des miennes pour valoir une des vôtres.
J’embrasse la C[om]tesse et voudrais l’enlever. Si je pouvais être elle huit jours, je lui rendrais après son angélique caractère avec une situation heureuse. »
1. Adrienne Catherine de Noailles, Comtesse de Tessé, célèbre salonnière, amie de Thomas Jefferson. Elle réside alors à Löwenberg, en Suisse.
2. Claude-Hippolyte Terray, jeune amant de Mme de Staël
3. Mme de Staël a en effet deux enfants, Auguste, né en 1790 et Albert en 1792. Deux autres enfants naîtront en 1797, puis en 1812 (d’un second mariage)
4. Le jeune Bonaparte, à la tête de l’Armée d’Italie, entrera dans Milan le 15 mai. Mme de Staël n’a alors pas encore connaissance de celui qui deviendra son pire ennemi
5. Le Comte de Garville, propriétaire du château de Greng en Suisse
Au gré des soubresauts politiques de la France en cette fin de XVIIIè siècle, Mme de Staël est plusieurs fois contrainte à l’exil. Une première fois après les Massacres de Septembre, une seconde fois en 1795 après avoir frappée de soupçons par le tout nouveau Directoire, qui craint les idées propagées dans son salon. En octobre 1795, on lui intime l’ordre de quitter le territoire. C’est ainsi qu’elle se rend en Suisse, avec l’écrivain Benjamin Constant, rencontré quelques mois plus tôt, devenu son alter ego passionnel et intellectuel. Elle réside quelques temps avec Constant chez le Comte de Garville, à Greng, où elle rencontre le jeune Adrien de Mun, alors âgé de 23 ans. Il habite non loin, chez Mme de Tessé, à Löwenberg et tombe rapidement amoureux de Mme de Staël, au point de venir la courtiser tous les jours. Voici l’amusant témoignage que nous laissa une cousine de Benjamin Constant : « Notre assemblée de samedi a été bien réussie. La trop célèbre Mme de Staël vint avec sa basse-cour. Son Terray, qui a l’air d’un petit renard affamé qui cherche à faire un mauvais coup, son Mun qui ressemble à un joli chat qui file et qui se frotte, chacun dans une oreille, sans compter les autres. »
De là, une correspondance suivie entre les deux personnages, qui fut d’ailleurs publiée. L’histoire ne dit pas si le badinage amoureux se transforma en une passion charnelle.
On joint :
-un poème manuscrit intitulé « ode sur la mort de Mme de Staël » en octosyllabes
-un contrat d’édition des œuvres posthumes de Mme de Staël en date de 1841 par l’éditeur Charpentier.
L’ensemble.
950 EUR