Pasquale Paoli (1725-1807), Chef d'Etat
Lettre signée, Corte, le 24 juillet 1793, adressée au Maire de Bonifacio, Androvandi
3 pages in-8, état très moyen, document anciennement déchiré puis maladroitement restauré, ancienne inscription partiellement effacée, fentes au niveau des marges.
Très rare et passionnante lettre de Pasquale Paoli dans sa dernière bataille pour l’indépendance de la Corse. Il y détaille l’avancée des combats et y affirme la légitimité de sa cause tandis que le pouvoir révolutionnaire de la Convention vient de le décréter hors-la-loi.
Nous reproduisons le texte en italien (les passages illisibles sont remplacés par des pointillés) :
« Risposi ieri, caro Androvandi, alla vostra lettera. Vi replico stamane la presente giaché l’espressi non sono ancora partiti, per darvi le notizie che mi vengono in questo punto in Bastia. La posta di Francia arrivata il dì […] in quel porto [portava la] notizia che il general Brunet è emigrato colla capa militare e se n’è passato nell’armata del Piemonte, che Tolone si è unito a Marsiglia, che Saliceti e Delcher sono stati arrestati a Aix e conferma la notizia già precorsa che tutti li dipartimenti sono in surezzione. Una gondola arrivata jer mattina in Bastia proveniente da Livorno ha portata la notizia che due fregate inglesi erano arivate nella rada di Livorno e che annunziavano l’arrivo in Genova della flotta inglese.
[…] in Tolone si […] e si portavano […] della nostra consulta, le quali si riguardavano come un perfetto modello da immitarsi dagl’altri dipartimenti.
La Convenzione predominata fino all’ultimo suo respiro dagl’intrighi del partito corrotto ha voluto scagliare un fulmine contro di noi anche il dì tre del mese corrente.
Vedete bene che niente abbiamo a temere e che anzi abbiamo tutta la ragione di applaudirci della nostra condotta. Date queste notiziie ma badate che non sia fatto comun […] pubblica.
Cordialmente vi saluto.
Pasquale De Paoli. »
En voici une possible traduction :
« J’ai répondu hier, cher Androvandi (1), à votre lettre. Je répète ce matin les termes de ma lettre puisque le courrier express n’est pas encore parti, pour vous donner les nouvelles qui me parviennent en ce moment à Bastia.
La poste de France arrivée le […] dans ce port annonce que le général Brunet a émigré avec les chefs militaires et est passé dans l’armée du Piemont (2), Toulon s’est uni à Marseille (3), Saliceti et Delcher ont été arrêtés à Aix (4) et se confirme la nouvelle déjà connue que tous les départements sont en insurrection. Une gondole arrivée à Bastia en provenance de Livourne a porté la nouvelle que deux frégates anglaises étaient arrivées dans ce port et on annonce l’arrivée de la flotte anglaise à Gênes.(5)
… à Toulon….et portent… de notre consulte qu’ils regardent comme un modèle que devraient imiter les autres départements.(6)
La Convention dominée jusqu’à son dernier soupir par les intrigues du parti corrompu a voulu lancer la foudre contre nous le 3 du présent mois (7). Vous voyez bien que nous n’avons rien à craindre et que nous avons tout lieu de nous féliciter de notre conduite. Faites connaître ces nouvelles mais prenez garde qu’il ne soit pas fait …commun….public.
Je vous salue cordialement,
Pasquale di Paoli. »
(1) on trouve la trace d’un Androvandi Maire de Bonifacio en 1792.
(2) Gaspard Jean Baptiste Brunet, général en chef de l’Armée d’Italie à cette époque, il est subordonné à Kellermann
(3) Toulon et Marseille sont en insurrection face à la Convention : les fédéralistes royalistes espèrent une aide des Anglais pour rétablir la monarchie. Le jeune Napoleon viendra à bout des insurgés toulonnais quelques semaines plus tard.
(4) Christophe Saliceti et Joseph Etienne Delcher sont envoyés en Corse en avril 1793 pour enquêter sur la culpabilité de Paoli dans l’échec de l’affaire de la Maddalena (cf infra). Ils révoquent l’administration Paoli. Il semble en revanche qu’il y ait ici confusion : deux émissaires de la Convention en partance pour la Corse ont effectivement été arrêtés à Aix en juillet 1793, mais il s’agit de Charles Louis Antiboul et de Jean-Baptiste Jérôme Bô.
(5) L’Angleterre cherche à protéger ses intérêts en Méditerrannée face à la marine française. Elle envoie ses navires à Livourne, car le Grand Duché de Toscane est allié aux Anglais, ainsi qu’à Gênes. Cette dernière ville, officiellement neutre, sera le lieu d’un affrontement en octobre 1793 entre les navires français et ceux de George III, qui remporteront la bataille.
(6) Paoli a effectivement organisé depuis mai 1793 en la ville de Corte un « consulte » – une assemblée dont il assume la présidence. Cette consulte décrétera la sécession d’avec la République Française.
(7) C’est le 3 juillet qu’est envisagée la mise en accusation de Paoli, qui sera actée le 17 du même mois.
Pasquale Paoli est, en 1793, déjà considéré comme le père de la nation corse : ayant réussi à imposer en 1755 l’indépendance de l’île aux autorités génoises, il a dirigé l’île pendant treize années en chef militaire éclairé avant d’être débordé en 1768 par les troupes de Louis XV, nouveau propriétaire officiel de l’île.
Après un exil anglais d’une vingtaine d’années, Paoli apprend l’avènement de la Révolution Française, qui voit en lui un symbole de résistance à la tyrannie royale. Paoli, profitant de ce revirement de situation, accepte l’invitation de la Convention à retourner en Corse en 1790.
Il y est accueilli triomphalement et songe à nouveau, malgré son vieil âge, à raviver les velléités indépendantistes. Il esquisse les bases d’un gouvernement autonome et réformateur. Rapidement, le pouvoir révolutionnaire français, jacobin et centralisateur, voit d’un mauvais œil les nouvelles ambitions de Paoli. Ces tensions vont encore s’accroître avec l’épisode de l’expédition de Sardaigne au début de l’année 1793 : le gouvernement français envisage la conquête de la Sardaigne sous la responsabilité de Paoli, et avec la participation du jeune lieutenant-colonel Napoleon Buonaparte, chargé d’attaquer l’archipel de la Maddalena. C’est là sa toute première campagne militaire. Mais Paoli est réticent à une telle aventure et il possède moins de troupes que celles exigées par la Convention. Mal préparée, l’expédition de Sardaigne échoue. Le jeune Buonaparte doit battre en retraite et Paoli est considéré, largement à tort, comme responsable. C’est Lucien, le frère de Napoleon, qui allume la mèche en dénonçant Paoli comme traître à la patrie devant le club républicain de Toulon. C’est le début d’une opposition violente entre le clan des Buonaparte et Paoli. Conséquence de cette dénonciation, la Convention envoie en avril 1793 une commission de trois députés, Saliceti (lui-même Corse), Delcher et Lacombe Saint Michel, chargés d’étudier la culpabilité de Paoli dans cette affaire. Il s’agit aussi de tempérer les ardeurs indépendantistes du grand homme, qui commence à prendre contact avec les Anglais, prêts à soutenir un projet de sécession. Le 17 juillet 1793, Paoli est décrété « traître à la République » et mis hors-la-loi.
C’est précisément à ce moment charnière que prend place la lettre que nous présentons.
Les lettres de Pasquale Paoli sont particulièrement rares. Celle-ci est d’un intérêt politique remarquable.
Malheureusement, le document n’est pas en très bon état (cf scans) et bénéficie d’anciennes restaurations maladroites.
Document remarquable, malgré son état.
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