[Napoleon Bonaparte (1769-1821), Empereur]
Lettre autographe signée, Osterode [aujourd’hui Ostroda, en Pologne], le 19 mars 1807, adressée à « Monsieur Armand, greffier du tribunal de première instance séant au Puy »
3 pages in-4, restes de cachet de cire rouge, tampon « B[ure]au G[énér]al Grande Armée »
Relation épique de la Bataille d’Eylau et de ses suites par un soldat ayant participé aux combats. Il s’adresse à son père, quelques semaines après l’affrontement et évoque l’héroïsme de l’Empereur au milieu du fracas de la mitraille :
[Nous corrigeons les quelques fautes d’orthographe]
« Mon cher père,
Voilà plus d’un mois que je suis privé de vos nouvelles, depuis que je vous ai écrit, il s’est bien passé des choses dans notre position. Je crois que par ma dernière je vous donnais avis de mon départ de Varsovie ; à cette époque il s’était fait un grand mouvement, plusieurs combats ont eu lieu et nous avons poursuivi les Russiens [sic] qui ont battu en retraite jusqu’aux positions de Preusse-Lau [Prusse-Eylau] ; où s’est donnée la plus forte bataille qui ait eu lieu depuis la Révolution. Je sais que les journaux ont donné le détail exact de cette affaire ; vous y avez vu que la garde a [été?] donnée ; la cavalerie a fait une brillante charge, mais aussi a-t-elle perdu beaucoup de monde ; nous avons [sic] resté en face de l’ennemi toute la journée sans tirer un seul coup de fusil ; ils nous ont tué beaucoup de monde, ils dirigeaient le feu d’une effroyable artillerie sur nous, chaque coup nous enlevait des hommes, je vous l’avoue franchement, il n’est pas de position plus cruelle que celle-là, de rester dans l’inaction, dans un péril aussi évident, mais il le fallait ainsi, car nous n’étions pas en force, ils étaient le double plus que nous, notre Empereur ne se proposait que de les attaquer le lendemain, notre armée alors aurait été ralliée et nous n’aurions pas donnés (?).
Les Cosaques ont fait un mouvement pour nous charger, alors l’Empereur qui était a notre tête, a ordonné à notre général de faire avancer un bataillon sur eux, celui dont je fais partie a été désigné, nous sommes avancés sur eux, avons essuyé une décharge de mitrailles qui nous a mis hors de combat plusieurs grenadiers, mais ils ne nous ont pas attendus, et quoique nous fussions à portée de faire feu, notre chef ne l’a pas voulu, voulant de nouveau les attirer ; et comme ils nous tuaient beaucoup de monde, l’Empereur nous a fait rejoindre la brigade ; l’Empereur n’a pas cessé de rester avec nous, il n’y a pas un seul soldat à qui ça ne fit de la peine de le voir ainsi exposé. Les succès de cette terrible journée se sont bornés à rester maîtres du champ de bataille ; le feu a cessé de part et d’autre, à huit heures du soir. Nous avons campé pendant quatre jours sur la hauteur, et l’ennemi s’étant retiré, nous sommes entrés à Preusse-Lau [Preussisch-Eylau], où nous avons [sic] restés six jours, il s’est fait alors un mouvement qui semblait ??? que nous battions en retraite ; en effet, l’armée à vingt lieues en arrière a pris ses positions. Et l’Empereur s’est retiré avec nous, et son quartier général à Osterode, ou nous sommes depuis quinze jours, éprouvant bien des privations vu que le pays est entièrement ruiné. »
Le soldat poursuit en indiquant avoir rencontré une connaissance, Monsieur Faye, lieutenant de gendarmerie : « je ne le savais pas à l’armée. Il fait partie du grand quartier général ». Il demande à ses parents de bien vouloir se charger de commissions pour Madame Faye puis il reprend le récit de sa vie militaire :
« Je m’imagine que vous aurez été inquiet sur mon sort, surtout quand vous aurez appris que la Garde a donné, Dieu ma protégé jusqu’à présent, et j’espère qu’il me procurera le bonheur de vous revoir. De tous mes camarades, c’est-a-dire ceux qui étaient présent à cette affaire, aucun n’ont eu de mal ? Filhot et Feraigne n’y étaient pas, ils sont restés malades à Varsovie, j’ai vu après l’affaire Roussel qui était en bonne santé, il est vrai que son régiment n’y était pas, mais aussi ??? ils sont à l’avant-garde, et sont aux prises tout le jour avec les cosaques, je m’en informe tous les jours, il ne s’est encore rien arrivé [sic]. Nous ignorons si nous sommes encore ici pour longtemps. Je ne veux pas entrer dans aucun détail des peines que nous éprouvons, je sais d’avance que vous me plaignez, et dorénavant, je ne chercherai pas à augmenter les vôtres. »
Il termine en saluant toute sa famille et signe « votre dévoué fils. Armand aîné »
Le père annote la lettre et en rédige un court résumé en marge.
Ce document, par sa puissance, illustre bien le cauchemar que fut la bataille d’Eylau pour l’armée française. Napoleon se mesure aux armées du Tsar, qu’il croyait pourtant relativement amical. C’est le 7 février au matin que s’engage le combat, tandis que Napoleon observe les manœuvres, notamment du corps du Maréchal Soult.
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