Joachim Murat (1767-1815), militaire et Chef d'État
Très rare ensemble de trois lettres signées (textes possiblement autographes également), en pleine Révolution, par le tout jeune Murat, alors chef d’escadron à l’Armée du Nord dans le 21e régiment de chasseurs à cheval.
Partisan enfiévré des idées révolutionnaires, il pousse la dévotion jusqu’à changer son nom en « Marat », comme il le clame fièrement dans cet ensemble de lettres. Distillant des ordres militaires et des preuves d’attachement à la patrie, Murat esquisse ici le caractère qui fera sa gloire et le rendra indispensable à Napoléon.
7 pages, formats divers, état moyen, papier fragile avec quelques trous, pliures et marges effrangées
- Lettre signée, Hesdin, le 6 août 1793, adressée à « mon cher Lecomte » :
« Je viens de recevoir, mon cher Lecomte, votre lettre, aussitôt j’ai fait travailler aux objets que vous demandez, vous les trouverez ci-inclus. Vous dites qu’il faut la croix et la bannière pour entrer, eh bien employez les, si ce n’est pas assez, joignez-y le bénitier, le goupillon, alors vous exorciserez le diable, cette cérémonie faite vous en viendrez à bout et vous ferez de lui tout ce que vous voudrez. Mais trêve de plaisanterie et et revenons à notre objet. Vous verrez par une des deux lettres que nous écrivons au Ministre que nous lui mandons à être autorisés à prendre, pour monter l’escadron, des chevaux dans la remonte de Luneville au lieu de Compiègne. Poussez à la roue (1) et ça ira. Par la seconde nous exposons les raisons légitimes que nous avons de réclamer le montant du mémoire. Enfin mon cher Lecomte, je me repose entièrement sur vous pour soutenir les intérêts du régiment. Faites valoir ses droits avec votre énergie ordinaire.
Je suis très fraternellement,
MURAT.
PS : dans le mémoire des restaurations du régiment il a été oublié l’article des gants, portez le pour 1020 paires et ajoutez cette somme au total. »
(1) pousser une charrette, un véhicule
(2) Le destinataire a effectué quelques calculs en bas de la page, incluant les 1020 paires.
- Lettre signée, « Hesdin, le 26 du premier mois de l’an deuxième de la République une et indivisible » [17 octobre 1793], adressée à « mon cher Lecomte » :
« Le Comité d’administration, mon cher Lecomte, a reçu votre lettre. Il apprend avec plaisir l’heureux succès de vos démarches. Il voit avec peine que l’on n’accorde que cent chevaux. Le régiment a besoin d’une remonte générale. Le service pénible que font les escadrons de guerre exigent une grande réforme. Tâchez d’obtenir des fonds ou je renonce à la partie. Il est bien malheureux que, parce que des individus du Régiment refusent de rendre des comptes, l’on se voye frustré même de l’indispensable d’après l’engagement que prend le nouveau comité d’administration de donner tous les mois connaissance de la comptabilité [ …] ».
Murat insiste longuement auprès de son correspondant pour obtenir plus de moyens, notamment en chevaux, pour pouvoir combattre l’ennemi. Il évoque également la nomination des trompettes au 12e régiment de chasseurs.
Il poursuit : « J’ai reçu ma lettre d’avis pour chef d’escadron. J’ai donné tous mes états de service. Veuillez parler au chef de bureau des nominations et lui demander l’expédition de mon brevet avec le rappel de mes services. Mon ami, la République est en danger, Landrie [?] commande à Pont à Marck (1) six mille hommes […]
MURAT »
En post-scriptum, Murat demande à ce que soit gravé le nouvel emblème de son escadron avec « la déesse de la Liberté ».
(1) Pont-à-Marcq, petite commune du Nord
- Lettre signée, 2e décade du 2e mois de l’an 2 [novembre 1793], de la République adressée à « mon cher Lecomte » :
« Mon cher Lecomte, les officiers de l’armée envoient encore un officier du régiment à Paris pour porter l’état de service que le Ministre réclame. Je ne vois pas que cela soit nécessaire, sa mission a sans doute un autre but, peu importe, poursuivez toujours, vous ne cessez d’avoir en nous des amis et des frères. Nous avons pris ce matin un arrêté qui veut que Chambry (1) établisse un état général des défenses tel que vous me le demandez. Landrieux (2) cherche peut-être à me travailler mais ma conduite répond d’avance à l’attaque et ma conscience me laisse dormir tranquille. Je vous envoie une demande pour les guidons, tâchez de les obtenir, dites au citoyen Lefevre que nous sommes de vrais Montagnards. Je ne m’appelle plus Murat mais Marat, les Représentants du Peuple viennent de m’autoriser à quitter un nom que je portais avec horreur. Adieu, écrivez-moi, travaillez toujours. Je suis avec fraternité,
MARAT. »
(1) Aide-de-camp de Murat
(2) Landrieux est le supérieur de Murat, qu’il a engagé dans son régiment. C’est Landrieux qui obtient pour Murat le grade de chef d’escadron. Mais la concurrence entre les deux hommes les pousse à s’entrechoquer : chacun essaie de dénoncer l’autre d’incivisme et de connivence avec les nobles. Murat se prévaut de son nouveau nom, mais Landrieux l’accuse de terrorisme. Les deux hommes seront finalement jetés en prison mais tous deux s’en sortiront en servant le Directoire puis le Consulat.
Très intéressant ensemble sur une période peu connue de la vie de Murat.
1700 EUR