Jacques Mesrine (1936-1979), criminel
Lettre autographe signée (en tête), Paris [Prison de la Santé], le 28 juillet 1976, adressée à Jeanne Schneider
2 pages in-8
Belle lettre d’amour de Mesrine, alors enfermé à la Santé, à sa compagne Jeanne Schneider, elle-même prisonnière à Fleury-Mérogis. Mesrine vient d’apprendre l’exécution de Christian Ranucci et donne un avis tranché sur cet événement :
« MESRINE Jacques
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N°20
Nanou d’amour,
Salut à toi, Nanou la magnifique. Comment va ma puce depuis notre parloir ? Toujours en vacherie contre certaines de tes co-détenues ? Tu n’y peux rien, mon ange…Donc laisse couler la rivière ! Ce soir, ta lettre n°9. J’espère que ton mal de dos a pris fin. Je sais le genre de gymnastique qu’il te faudrait et je me porte volontaire…On peut toujours faire une demande à Dorlhac (1) la réformiste ! Je n’ai toujours pas eu la visite de Courtelin, espérons qu’elle fasse ce que tu lui as dit de faire….bien que cela serait l’occasion rêvée pour trouver le motif. Il faudra que tu me répondes au sujet de ce que tu as décidé. Qui te défendra aux assises ? Je n’ai pas de nouvelles de la puce (2)…toi non plus, j’en suis certain…Une tête est tombée, rien à dire, sinon que la méthode est indigne d’un pays qui se dit civilisé…par contre, pas de pitié pour ce genre de salopard (3). Autrement, comment va ton voyou…toujours les « cui-cui » du matin. N’oublie pas de lui mettre de la terre ou du sable (4). Je n’ai pas de nouvelles de Mamy (5), et personnellement, je m’en fous, j’aime la solitude…à deux…tu viens, mon ange. Je sais, je sais…Tu fais la tête depuis 7 ans (sic). Nanou d’amour, ton affreux jojo pose de doux bécots sur tout ce qui est toi. Bonne nuit chaton. Ton pirate. »
Hélène Dorlhac de Borne, femme politique, alors secrétaire d’Etat à la condition pénitentiaire, dans le gouvernement Chirac. Elle travaille à améliorer les conditions de détention des criminels.
La puce, surnom du complice de Mesrine, François Besse
L’affaire Ranucci défraye la chronique en cette année 1976 : deux ans plus tôt, un meurtre est commis sur une jeune enfant et de nombreux indices, notamment une voiture abandonnée, mènent à la piste de Christian Ranucci, alors représentant de commerce à Nice. Il est arrêté, reconnaît le crime, puis se rétracte, dénonçant des violence policières. L’opinion publique s’en mêle et Giscard n’ose pas user de son droit de grâce. Ranuscci est condamné à la peine de mort, et guillotiné le 28 juillet 1976, le jour où la lettre de Mesrine est envoyée. Le livre de Gilles Perrault Le Pull-over rouge contribuera à relancer la polémique sur l’attribution du crime à Ranucci.
Jeanne Schneider venait d’acheter un oiseau
Probablement un co-détenu, ou un complice. On retrouve son nom dans plusieurs lettres.
Mesrine rencontre Jeanne Schneider en 1965. Elle est call-girl dans un bar à Pigalle, il l’enlève aux griffes de ses maquereaux et fait d’elle sa maîtresse. Les deux acolytes gèrent une auberge dans l’Oise, mais des activités louches attirent l’attention de la police, qui fait fermer l’établissement. Quelques mois plus tard, on retrouve Mesrine aux Canaries, à Genève, à Chamonix où plusieurs braquages le font condamner. Il fuit alors au Canada avec Jeanne. Ils entrent au service d’un millionnaire, Georges Deslauriers, qu’ils enlèvent à l’aide d’un complice. Mais la tentative d’extorsion de fonds échoue car la victime arrive à s’échapper. Le couple loge alors dans un hôtel à Percé (Québec), dont la gérante est retrouvée morte. On soupçonne le couple, qui s’enfuit à nouveau vers les Etats-Unis mais est vite rattrapé et rapatrié au Quebec, où ils sont condamnés et incarcérés pour la séquestration de Deslauriers (mais acquittés du meurtre de leur logeuse). En août 1972 ils parviennent à s’échapper et reprennent leurs braquages avant de fuir au Venezuela avec des complices. Mais Jeanne Schneider est fatiguée de cette vie de gangster, et elle accepte de purger sa peine afin de se ranger et de changer de vie, tandis que Mesrine continue sa cavale. Rentrée en France pour purger sa peine à Fleury Merogis, Jeanne apprend que Mesrine vient, à son tour, d’être arrêté à Boulogne-Billancourt et condamné à 20 ans de prison. De là, une correspondance suivie entre les deux amants, amoureuse mais aussi politique, véritable reflet des conditions carcérales en France sous Giscard.
Intéressant témoignage.
1100 EUR