[Louis XIV (1638-1715), Roi de France]
[Louis de Mornay (1619-1691), Marquis de Villarceaux]
Lettre autographe, Paris, le 4 mars 1650 [adressée à « Son Altesse Monseigneur »]
2 pages in-8, restes de cachets de cire
Très intéressante relation, par un courtisan, des dernières nouvelles de la Cour, alors que Louis XIV, encore mineur, vient de quitter Paris avec sa mère Anne d’Autriche pour combattre les frondeurs en Bourgogne.
D’après une note sur le feuillet d’adresse, la lettre pourrait avoir été écrite par Denise de la Fontaine d’Esche, richissime épouse du célèbre Marquis de Villarceaux, qui était suivante d’Anne d’Autriche (nous modernisons l’orthographe pour une meilleure compréhension) :
« Vous aurez su comme Monsieur de Chateauneuf a les sceaux et de la sorte comme cela s’est passé tant à son égard qu’à celui du chancelier, et de la Cour, et qu’il est logé chez le Cardinal (1). La Cour part demain pour s’en aller en Bourgogne, l’on croit qu’ils ne viendront de longtemps, il y en a même qui disent que le Cardinal pourrait bien ne plus revenir (2). L’on croit que l’on mènera Monsieur le Prince à la Bastille dès que la Cour sera partie (3). Le Conseil demeure ici auprès de son Altesse Royale (4) que l’on flatte fort, l’on lui veut persuader que l’on ne songe qu’à sa grandeur et à le contenter, la Reine lui parla il y a deux jours de rappeler Mr de la Rivière, dont sadite Altesse Royale s’éloigna fort et dit n’en vouloir plus et être bienheureux d’en être défait (5). Madame de Montbason (6) dit il y a quelques jours cent pouilles (7) à sadite Altesse [sur] de la Rivière et lui apprit quantité de passes-droits que lui avait fait cet homme. Et ensuite, se dauba fort (8) de ce que jusques à cette heure, il s’était laissé gouverner, lui alléguant Pillorens (9), et finit la conversation en lui disant qu’il ne ferait jamais rien qui vaille tant qu’il avait un favori. Madame de Chevreuse (10) est fort bien, l’on dit qu’elle a fait un ministre, que bientôt elle fera un duc, un Maréchal de France et un Cardinal, à savoir Nermontier, Laigue et le Coadjuteur (11). Voilà ce que sait une personne qui a été autrefois dans votre testament, qui vous honore autant qu’il se peut, et souhaiterait à quelque prix que ce fût vous le pouvoir témoigner sans exception. J’irai au devant des choses où je croirai le pouvoir faire, et pour les petits soins de vous mander des nouvelles, je n’y manquerai pas. Je souhaiterais être plus illuminée pour le pouvoir faire avec agrément et vous apprendre des choses plus particulières et sachez que je ne suis caution de rien que de mes services qui vous seront toujours rendus avec grande passion. »
En mars 1650, Mazarin renvoie le Chancelier du Royaume, Pierre Seguier, particulièrement détesté de la Fronde parlementaire. Il lui faut alors trouver un Garde des Sceaux, dont le rôle est de remplacer le Chancelier en cas de crise. Mazarin pense à Charles de l’Aubespine, Marquis de Chateauneuf qui a déjà occupé cette fonction en 1630 avant d’être démis et emprisonné pour trahison. Par ses puissants appuis, dont Mme de Chevreuse, le Marquis de Chateauneuf recouvre la faveur d’Anne d’Autriche, qui lui « rend les sceaux » en mars 1650, comme le confirme notre lettre. Il conservera cette charge jusqu’à avril 1651.
Les révoltes de la Fronde mènent Louis XIV et sa mère à voyager à travers le pays pour soumettre les régions. En particulier, la révolte en Bourgogne, menée par le Grand Condé, oblige Louis XIV et ses armées à faire le siège de plusieurs villes. Il entre à Dijon le 16 mars 1650.
Il s’agit du Grand Condé, arrêté en janvier 1650 sur ordre de Mazarin, avec son frère le Prince de Conti, et son beau-frère le Duc de Longueville. Tous trois sont enfermés à Vincennes (et non à la Bastille, comme suggéré dans notre lettre). Cet épisode provoquera la Fronde des Princes (1651-1653).
Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, qui exerce le pouvoir en l’absence du jeune Roi Louis XIV et de sa mère Anne d’Autriche
Louis Barbier de la Rivière, écclésiastique, homme de confiance de Gaston d’Orléans qu’il trahit en éventant ses secrets auprès de Mazarin. C’est à l’aune de cet épisode qu’il faut comprendre la méfiance de Gaston envers Rivière.
Marie d’Avaugour, Duchesse de Montbazon, connue comme l’une des plus belles femmes de la Cour, mais très portée sur les intrigues politiques.
Faire des pouilles : accabler de reproches
Se dauber : railler
Possible référence à Antoine de l’Age, seigneur de Puylaurens, proche de Gaston d’Orléans, mort quinze ans plus tôt
Marie de Rohan, Duchesse de Chevreuse, grande intrigante, qui vient d’obtenir le retour aux affaires de son ancien amant Chateauneuf, précédemment cité
Louis II de la Tremoille, amant de Charlotte de Lorraine, la fille de Mme de Chevreuse, est effectivement fait duc de Noirmoutiers en mars 1650. Le « coadjuteur » n’est autre que le futur Cardinal de Retz, également amant de Charlotte de Lorraine. Le Marquis de Laigue, en revanche, n’aura pas de maréchalat.
Très intéressant témoignage de première main.
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