Victor Hugo (1802-1885), poète

Lettre autographe signée, sans lieu, le 9 février 1829

1 page in-8, adresse autographe avec cachet aux armes

Intéressante lettre de jeunesse du grand écrivain, donnant à son éditeur des instructions pour la publication du Dernier Jour d’un Condamné et des Orientales :

« On réclame de toute part, Monsieur, la préface que l’on a supprimée, je ne sais pourquoi, dans la 2e édition du Condamné. Il importe qu’on la rétablisse dans la 3e. Savez-vous si la 2e des Orientales est prête, et paraît-elle en effet demain 10 comme on l’a annoncé ? Soyez assez bon pour me répondre un mot et me faire envoyer 5 exemplaires du Condamné. Le FigaroL’Album national (1), et M. Duverger ont réclamé chacun un exemplaire de la 2e édition que j’ai pas pu leur refuser. Mille compliments.

Ce lundi 9 février.

V.H. »

Le courrier est adressé à « M. Ch. Gosselin, 9 rue St Germain des prés », le feuillet d’adresse est également signée des initiales V.H.

      (1) Il s’agit d’une revue de critique et d’actualité musicale, artistique et littéraire. En cette année 1829, elle publia des articles élogieux sur les Orientales ainsi que sur le Dernier Jour d’un Condamné, qui fut accueillit en ces termes : « L’infatigable M. Victor Hugo vient de publier sous le titre du Dernier Jour d’un Condamné un nouvel ouvrage aussi intéressant par le fond sujet que piquant par la forme bizarre que l’auteur a adoptée. »

Victor Hugo, révulsé par la peine de mort, souhaite écrire un plaidoyer sous la forme d’un roman, du point de vue du supplicié. Ce projet littéraire audacieux ne recueille pas tout de suite l’assentiment de son éditeur depuis peu, Charles Gosselin, le destinataire de notre lettre. Ce dernier vient de publier les Orientales, recueil poétique virtuose d’une quarantaine de pièces marquées par le philhellenisme romantique, dans lequel figure notamment le célèbre poème des Djinns. Si les Orientales sont une puissante évocation esthétique, le nouveau livre de Hugo, Le Dernier Jour d’un Condamné, se veut un ouvrage politique autant que littéraire. Gosselin se montre dubitatif devant l’audace du plan de l’ouvrage : un journal rédigé par le condamné lui-même peut-il faire le sujet d’un roman ? Où serait donc l’action ? Victor Hugo s’en tient à ses plans, et rédige une première préface en février 1829, qui se résume à ces quelques phrases sibyllines :

Il y a deux manières de se rendre compte de l’existence de ce livre. Ou il y a eu, en effet, une liasse de papiers jaunes et inégaux sur lesquels on a trouvé, enregistrées une à une, les dernières pensées d’un misérable ; ou il s’est rencontré un homme, un rêveur occupé à observer la nature au profit de l’art, un philosophe, un poète, que sais-je ? dont cette idée a été la fantaisie, qui l’a prise ou plutôt s’est laissé prendre par elle, et n’a pu s’en débarrasser qu’en la jetant dans un livre. De ces deux explications, le lecteur choisira celle qu’il voudra.

Hugo, conscient des risques, publie d’abord l’ouvrage de façon anonyme. Rapidement cependant les langues se délient et le nom de Victor Hugo circule, traîné dans la boue par de nombreux opposants à ses idées peut-être encore davantage qu’à son style. Hugo décide de répondre à détracteurs dans sa 3ème édition de fin février 1829 par une nouvelle préface sous la forme d’une saynète parodique ridiculisant les arguments fallacieux qui lui sont opposés : « Voilà le tort. Le sujet méritait le raisonnement. Un drame, un roman ne prouve rien. Et puis, j’ai lu le livre, et il est mauvais. », lance l’un des personnages.

Quoique moqueur, Victor Hugo pâtira en effet de ce reproche : pourquoi avoir produit un portrait psychologique plutôt qu’un argumentaire rationnel ?

Sensible à ces critiques, Hugo reprend la plume en 1832 à l’occasion d’une réédition et signe une nouvelle préface magistrale, celle qui restera comme son véritable réquisitoire contre la peine de mort. L’écrivain y « avoue hautement que le Dernier Jour d’un Condamné n’est autre chose qu’un plaidoyer, direct ou indirect, comme on voudra, pour l’abolition de la peine de mort. Ce qu’il a eu dessein de faire, ce qu’il voudrait que la postérité vît dans son œuvre, si jamais elle s’occupe de si peu, ce n’est pas la défense spéciale, et toujours facile, et toujours transitoire, de tel ou tel criminel choisi, de tel ou tel accusé d’élection ; c’est la plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés présents et à venir. »

Cette préface terminera d’installer Le Dernier Jour d’un Condamné comme une œuvre phare de Victor Hugo et un jalon majeur vers l’abolition.

Intéressant témoignage.

1650 EUR