Gustave Flaubert (1821-1880), écrivain

Manuscrit autographe, sans lieu ni date  [circa 1860]

2 pages, recto/verso d’un feuillet, in-folio, légère pliure centrale

Rare manuscrit de travail de Salammbô qui présente une version transitoire de deux épisodes du grand roman oriental de Flaubert.

La première scène décrit l’émotion de Mâtho le Syrien, approchant de Carthage, alors qu’il s’imagine revoir Salammbô. Elle appartient au chapitre XII du roman, «L’Aqueduc». La version définitive de ce passage est ainsi éditée : «C’était une surprise infinie, un étourdissement. Puis une joie l’emporta, à l’idée de revoir Salammbô. Les raisons qu’il avait de l’exécrer lui revinrent à la mémoire ; il les rejeta bien vite. Frémissant et les prunelles tendues, il contemplait, au-delà d’Eschmoûn, la haute terrasse d’un palais, par-dessus des palmiers ; un sourire d’extase illuminait sa figure, comme s’il fût arrivé jusqu’à lui quelque grande lumière ; il ouvrait les bras, il envoyait des baisers dans la brise et murmurait : « Viens ! viens ! » un soupir lui gonfla la poitrine, et deux larmes, longues comme des perles, tombèrent sur sa barbe. »

Le manuscrit préparatoire présente une ébauche de ce même texte avec d’importantes variantes, des ajouts en marge et de nombreux repentirs. En particulier, la dernière phrase est ainsi rédigée et étoffée dans notre manuscrit : «et deux larmes longues comme des perles indiennes et qui tremblaient à ses cils tombèrent sur sa barbe». L’auteur a enfin biffé d’une grande croix le passage entier.

La seconde partie du brouillon semble se référer à l’incendie de Carthage évoqué dans le chapitre XIII : on retrouve dans le texte final un paragraphe qui pourrait dériver de notre manuscrit, sans qu’il soit possible de l’affirmer avec certitude. Le travail incessant de Flaubert sur le moindre mot, comme le montre bien le manuscrit, l’aura certainement poussé à modifier mille fois ce passage avant publication. 

Au verso du feuillet, et sur toute la largeur de la page, Flaubert a inscrit, en vrac, de nombreuses remarques sur la géographie de la région, notes préparatoires à l’écriture de Salammbô. Sur toute la longueur de la page, largement raturées et surchargés, figurent des détails sur la géographie (évocation du cap de Misrata, de Syrte, de l’Égypte, de l’oasis de Siwa et de nombreux autres lieux), l’atlas, les fleuves, la géologie, l’architecture, les populations nomades, leur alimentation, leurs techniques («troncs de palmiers pétrifiés […] servent d’indicateurs dans le désert»), leurs mœurs (« une tribu de Tibbos porte les cheveux en forme de cornes », « les mâles port[ent] au nez des anneaux d’or »). L’auteur mâtine parfois son propos de jugements peu amènes (« indolence et mollesse des habitants, de corps et d’esprit »).

Document rare, témoignage du processus créatif d’un écrivain réputé pour son perfectionnisme. 

5000 EUR