Edgar Degas (1834-1917), peintre
Ensemble de deux lettres autographes signées
Lettre autographe signée, « Paris, mercredi » [vers mars 1876]
2 pages in-8, bordure de deuil
« Mon cher Deschamps, Enfin. Enfin, c’est à peu près fini. On verra demain s’il y aura lieu de signer. Si je n’ai pas refait dix fois les figures d’un avant. Dieu me damne. Et quel cruel engagement ! Je suis dévoré d’envie et de besoin de faire du nouveau. Notre Exposition approche (1) et je ne puis être libre de travailler à ce que je veux. Vous me comprenez. Mon frère est à Naples (2) à ma place. Je n’ai pu quitter Paris, véritablement préparez les fonds et qu’on commence dans ma famille à me laisser en paix. (3)
Pouvez-vous me renvoyer pour le 27 ou 28 de ce mois la danseuse en silhouette et le grand dessin, dites-moi ? Et puis quand revenez-vous ?
A bientôt, je compte sur vous.
Amitiés à votre femme.
E. DEGAS »
(1) L’une des sept expositions impressionnistes (sur huit) auxquelles participe Degas entre 1874 et 1886. Il s’agit ici probablement de la seconde, en avril 1876.
(2) Le grand-père de Degas possède une maison à Naples, où le peintre aime à se rendre
(3) Allusion aux dettes familiales consécutives à la faillite de l’entreprise du père du peintre. Le règlement de ces dettes nécessitera la contraction d’un prêt par Degas à cette époque, c’est peut-être cela qu’il s’agit de « signer » au début de la lettre.
Lettre autographe signée, sans lieu, « mercredi » [années 1870]
2 pages in-4, signature découpée, perte de quelques mots, bordure de deuil
« Mon cher Deschamps,
Soyez tranquille, je travaille pour vous, et beaucoup. Si je n’ai pas encore envoyé l’un des tableaux, c’est que mon humeur me fait pousser les deux en même temps. Vous les aurez ensemble et sans doute quelque chose de plus.
Mais je voudrais vous voir venir toutes les semaines ici. J’ai besoin qu’on soit dans [mots découpés] , j’ai refait en variante et dans la grandeur de la toile de grosses blanchisseuses, celui des deux tableaux où il y a une banquette coupée en avant. C’est le meilleur des deux. J’ai même presque achevé le prototype de celui-ci. En voici donc trois sur le même motif. Je ne cherche qu’à perfectionner l’exécution en la faisant la plus simple, c’est-à-dire la plus en manière de dessin possible.
Il y en aura pour les quelques acheteurs dont vous parlez.
Mille amitiés à votre femme.
Votre tout dévoué
[signature découpée]
Mardi prochain, vous recevrez sûrement l’une, peut-être l’autre. J’ai été aussi retardé par un rhume qui m’a bouché les yeux. »
Degas s’adresse ici au marchand d’art londonien Charles Deschamps ancien directeur de la succursale de Durand-Ruel dans la capitale anglaise. Le peintre doit régler les dettes familiales suite à la faillite de l’entreprise de son père et le succès parisien n’est pas au rendez-vous. Il décide de se tourner vers le marché anglais, à l’instar de ses collègues Tissot et Fantin-Latour. Deschamps parvient à vendre plusieurs toiles pour le compte de Degas à de riches amateurs anglais. Mais son art se réduit alors à des travaux de commande, ce qui le contrarie vivement : c’est ainsi qu’il regrette, dans ces lettres, de n’être pas libre de « travailler à ce qu’il veut ».
Deux des thèmes évoqués dans ces lettres sont représentatifs de l’art de Degas.
Les ballerines, et plus généralement les danseuses, également de cancan, gagnent en popularité et deviennent des sujets très prisés des peintres en cette fin de XIXè siècle. Dans une atmosphère mêlant activité artistique et courtisanerie, les danseuses sont représentées par Degas dans leur travail quotidien côté coulisses plutôt que dans leurs succès triomphants sur scène. Degas toutefois regrettera cette appellation un peu simpliste de « peintre des danseuses », affirmant : « On ne comprend pas que la danse a été pour moi un prétexte à peindre de jolies étoffes et à rendre des mouvements. »
Les blanchisseuses, elles aussi, constituent un sujet de prédilection pour Degas, et plus généralement pour la seconde moitié du XIXe siècle, à l’instar de Zola dans l’Assommoir. Saisis dans la réalité d’un dur labeur, ces portraits, présentés par séries lors des expositions impressionnistes, témoignent du regard sans complaisance mais non sans tendresse du peintre vis-à-vis de ses modèles.
1800 EUR