Camille Desmoulins (1760-1794), avocat

Manuscrit autographe, sans lieu, le 17 [octobre 1791]

1 page oblongue in-4, quelques taches, bords légèrement effrangés sans perte de texte

Rare manuscrit de la main de Desmoulins, notes prises à la volée pendant une séance de la Société des Amis de la Constitution, plus connu sous le nom de Club des Jacobins, afin d’en rédiger le compte-rendu.

Fondé en avril 1789 à Versailles sous le nom de Club Breton à l’initiative de quelques députés rennais aux États Généraux, le club se reconstitue à Paris fin 1789, aux prémices de la Révolution, dans le Couvent des Jacobins, dont il prend le nom. Sa mission est de préparer les débats de la toute jeune Assemblée Nationale et de travailler à la future Constitution du pays. Le cercle s’élargit bientôt à plusieurs centaines de citoyens, moyennant le paiement d’une cotisation. En province naissent de nombreuses sociétés sur le même modèle, affiliées au club parisien.

Le club parisien attire bientôt les principales figures de la jeune Révolution : Mirabeau, Robespierre, Danton, La Fayette, Pétion, Brissot et Alexandre de Lameth débattent et haranguent une foule de plus en plus nombreuse acquise aux idéaux de liberté et d’égalité. Desmoulins est alors un jeune journaliste qui s’est fait connaître en juillet 1789 par sa proclamation dans les jardins du Palais Royal : « M. Necker est renvoyé ; ce renvoi est le tocsin d’une Saint-Barthélémy des patriotes ». Fervent défenseur du patriotisme et de la Révolution, qu’il exalte dans sa revue des Révolutions de France et de Brabant, Desmoulins rejoint en 1790 le club des Jacobins, où il retrouve son ancien camarade de classe, Maximilien de Robespierre, dont il partage les idées républicaines.

Le club, à cette époque, est très actif mais les remous et désaccords politiques, notamment sur la question de l’esclavage, incitent plusieurs figures importantes du club, plutôt modérées, à faire sécession pour créer le Club de Feuillants à l’été 1791. Robespierre et ses fidèles, très opposés à Louis XVI, restent dans le club d’origine et la quasi totalité des clubs de province restent fidèles à cet organe. Robespierre profite de cette scission pour procéder à des purges tout en élargissant le club au plus grand nombre. Il est désormais le grand ordonnateur des débats et devient une figure incontournable de la Révolution.

Desmoulins, de son côté, est accusé d’avoir pris part aux manifestations du Champ de Mars (juillet 1791). Il doit se cacher et son journal est interdit par le gouvernement qui voit dans ses prises de position excessives un danger pour la stabilité du pouvoir. Il réapparaît au Club des Jacobins quelques semaines plus tard, considérant – à tort – que le danger est derrière lui.

C’est à ce moment charnière de l’histoire du club que prend place le document que nous présentons. Il permet une plongée au plus près de l’organisation et des préoccupations politiques du club des Jacobins en cette fin d’année 1791 et contient en germe, notamment, la décision de confisquer les biens des émigrés proposée par Jean-Claude Simonne, membre éminent du club.

En voici le texte, que nous éclairons par quelques notes :

« Procès-verbal de la séance du 17

Admission de MM. Bruat député du Haut-Rhin, Maignen député de la Vendée, Couturier de la Moselle et Thevenet du Rhône-et-Loire. (1)

Lecture du procès-verbal.

Lecture de la correspondance.

Arrêté que le comité d’administration et les huit Commissaires auditeurs de ses comptes feront un rapport à la société sur la demande de Mr de Seine. (2)

Renvoi de la lettre de M. Rachivel ?? au Comité de présentation.(3)

La société nomme des Commissaires pour examiner l’adresse de M. Brayer, tendant à faire reparaître dans la circulation le numéraire qui y manque, et à détruire l’accaparement et l’agiotage. [note en marge : Commissaires, M.M. Clavieres et Ferrières]. (4)

Renvoi de la demande de M. de Flers redacteur du Journal des Debats de la société aud[it] Comité de Correspondance. (5)

Arrêté que la liste des candidats ne sera qu’indicative.

Arrêté que M. Dussaulx sera invité à rédiger une adresse sur le jour. (6)

Arrêté que les commissaires nommés pour la construction des tribunes s’assembleront demain a 4 heures, pour hâter cette construction. (7)

Le recensement du scrutin porte a la présidence M. Fauchet, M. Pethion Vice president. Secretaires, MM. Bazire, Billaud de Varennes et Manuel (8). La société arrête l’impression du discours de M. Simonne sur les émigrans. » (9)

En marge figurent deux indications d’une autre main certifiant l’attribution à Camille Desmoulins.

(1) Les membres ici mentionnés sont :

Claude Joseph Bruat, député du Haut-Rhin

François Maignen, député de la Vendée

Jacob Couturier, député de Chatillon sur Seine

Jean Thevenet, député de Rhône-et-Loire

(2) Le Comité d’administration est l’un des trois principaux comités du Club des Jacobins, aux côtés du comité de correspondance et du comité de présentation et vérification. Il est responsable de la gestion quotidienne du club, de l’organisation des séances et de la coordination des activités internes. Les Commissaires auditeurs des comptes sont chargés de la vérification de la bonne tenue des finances du club.

(3) Le Comité de présentation a pour mission d’organiser la sélection des nouveaux membres du Club. Ce

Monsieur « Rachivel » (dont le nom est cependant difficile à déchiffrer) a probablement candidaté pour être

membre du Club.

(4) Pendant la Révolution, les « accapareurs » sont des personnes qui profitent de la situation politique trouble pour entasser les produits de consommation courante, en particulier les grains et les farines, et contribuer à leur raréfaction avant de les revendre. Le Club de Jacobins est particulièrement engagé contre ces profiteurs et Collot d’Herbois, cité dans notre document, sera à l’origine d’une loi les punissant de mort. De même, les « agioteurs » sont accusés de profiter de l’inflation due aux assignats pour s’enrichir, et les Jacobins veulent endiguer le phénomène.

(5) Le Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution est publié de 1791 à 1793. On trouve la trace d’un Deflers qui assure la rédaction du journal à partir de juillet 1791. Quant au Comité de Correspondance, il s’agit de l’organe chargé d’assurer la liaison entre le club parisien et les clubs provinciaux.

(6) Jean Dussaulx, homme de lettres, révolutionnaire modéré qui votera contre l’exécution du Roi et sera attaqué par Billaud-Varenne pour manque de patriotisme. Il ira en prison mais sera sauvé par Marat.

(7) Fin 1791, le club est devenu si populaire qu’il convient d’effectuer des travaux dans le Couvent des Cordeliers pour accueillir l’affluence de membres et de visiteurs venus écouter et participer aux débats.

(8) Claude Fauchet, révolutionnaire et évêque constitutionnel, est l’un des assaillants de la Bastille le 14 juillet 1789. Claude Basire, député et avocat, est un orateur régulier au Club. Petion de Villeneuve, futur Maire de Paris, est alors très populaire, à l’égal de Robespierre dont il est le proche ami. Billaud-Varenne est l’un des principaux orateurs au Club. Robespierre, avec lequel il partage de nombreux combats avec ardeur, s’inspire de ses diatribes extrêmes pour forger les siennes. Pierre-Louis Manuel est l’un de membres influents du Club, bras droit de Pétion. Il sera chargé d’emmener Louis XVI au Temple et d’en assurer la surveillance.

(9) Jean-Claude Simonne, ingénieur impliqué dans les débats révolutionnaires au sein du Club des Jacobins, prononcé le 17 octobre 1791, le jour de la rédaction de notre manuscrit, un important « discours sur la loi à faire contre les émigrations », dont nous reproduisons le texte en annexe.

On joint également la reproduction des comptes-rendus officiels des séances aux Jacobins des 16 et 17 octobre 1791 qui éclairent notre manuscrit et confirment sa datation.

Rare témoignage de l’épicentre intellectuel et politique de la Révolution en marche.

2500 EUR