Victor Schoelcher (1804-1893), homme politique
Lettre autographe signée, Seine-Port, janvier 1843, au Directeur de la revue La Ruche Populaire
2 pages in-8, initiales gaufrées, pliures marquées, légères déchirures
Très intéressant et vibrant plaidoyer de Victor Schoelcher pour l’abolition de l’esclavage. S’adressant aux classes ouvrières par l’intermédiaire d’une revue populaire, il veut unir les damnés de la Terre pour convaincre de l’importance de son combat pour les noirs :
« Monsieur F. Rosenfeld, Directeur gérant de la Ruche populaire (1)
Monsieur,
La Ruche, dans son dernier numéro, annonce le compte-rendu de divers ouvrages parmi lesquels je ne vois pas les Colonies Françaises (2). Voulez-vous bien me permettre de vous rappeler qu’elle avait, il y a quelques mois, promis de s’occuper de ce livre. Il se trouve peut-être à mon insu même quelque mouvement de vanité d’auteur dans cette espèce de réclamation, mais je suis sûr qu’il s’y trouve aussi le désir de voir la Ruche traiter une question aussi importante que celle de l’abolition et en parler à son public.
Dans un petit livre que j’ai publié précédemment (3), et que j’avais dédié au peuple (j’ai eu aussi l’honneur d’en faire remettre un exemplaire à la Ruche), je disais « le peuple français ne doit pas oublier plus longtemps les noirs qui souffrent, les noirs qui moins heureux que lui encore n’ont pas la possession d’eux-mêmes ». C’est pour appeler de nouveau la chaude et généreuse sympathie des classes ouvrières sur les pauvres esclaves que je me permets de demander tout directement l’article de la Ruche. J’ose penser que cette demande vous paraîtra naturelle et que vous voudrez bien agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération très distinguée.
SCHOELCHER
Mons. Goubault qui vous remettra cette lettre est un ami du nègre plein de zèle et de désintéressement. Il pourrait si vous le jugez convenable vous communiquer de temps à autres quelques notes qui mettraient les ouvriers de la Ruche à même de joindre leurs efforts à ceux des abolitionnistes. »
La Ruche populaire, journal « des ouvriers rédigé et rédigé par eux-mêmes » est publié de 1839 à 1849.
Schoelcher est partisan depuis les années 1830 de l’abolition de l’esclavage, mais il est réaliste et pense que cette suppression, quoique nécessaire, doit être graduelle. Il durcit cependant sa position en 1840/1841 lors d’un voyage aux Antilles, qui le révolte profondément. C’est à cette occasion qu’il rédige Des Colonies Françaises : abolition immédiate de l’esclavage, ouvrage dans lequel il dénonce les conditions de vie des esclaves, notamment dans la plantation de Trou-Vaillant, à Saint-James. C’est également dans cet ouvrage qu’il cite l’un des ouvriers de la Ruche Populaire un certain M. Gilland, qui réclame l’abolition de la souffrance noire.
Il s’agit de l’opuscule Abolition de l’esclavage, examen critique du préjugé contre la couleur des Africains et des sang-mêlés, publié en 1840, donc deux ans avant Des Colonies Françaises. Dans ce premier livre, dédié au Peuple, Schoelcher cherche à attirer la sympathie des plus démunis pour la cause abolitionniste. C’est un extrait de la Préface que recopie ici Schoelcher à l’attention des ouvriers.
La Ruche Populaire continuera de publier régulièrement des articles favorables à l’abolition de l’esclavage, en parallèle des efforts de Schoelcher pour défendre cette cause, qui triomphera cinq ans plus tard à la faveur de la Révolution de 1848.
Beau et rare témoignage.
3000 EUR